FÉMINICIDE. UN PROJET DE TUERIE DE FEMMES PAR UN « INCEL » DÉJOUÉ À BORDEAUX. QU’EST-CE QU’UN « INCEL », UN « CÉLIBATAIRE INVOLONTAIRE ». DE LA PEUR DES FEMMES ET LE REJET DU FÉMINISME AU MASCULINISME ET LA MISOGYNIE… JUSQU’AU HARCÈLEMENT ET AU CRIME. (2024)

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FÉMINICIDE. UN PROJET DE TUERIE DE FEMMES PAR UN «INCEL» DÉJOUÉ À BORDEAUX. QU’EST-CE QU’UN «INCEL», UN «CÉLIBATAIRE INVOLONTAIRE». DE LA PEUR DES FEMMES ET LE REJET DU FÉMINISME AU MASCULINISME ET LA MISOGYNIE… JUSQU’AU HARCÈLEMENT ET AU CRIME. (1)

NEWS NEWS NEWS. Le 21 mai 2024, d’après le ministère de l’Intérieur, un jeune homme de 26 ans a été arrêté dans la localité d’Eysines, en Gironde. Juste à temps. Il projetait semble-t-il vouloir tuer aux hasard plusieurs femmes. Il a été localisé suite au signalement parvenu sur la plateforme Pharos, le portail officiel de repérage des contenus illicites et inquiétants de l’internet, indiquant qu’un message alarmant avait été posté le 17 mai. Ce post faisait l’apologie de la tuerie de femmes orchestrée par le masculiniste «incel» Elliot Roger en mai 2014 à Isla vista (Californie). Il affirmait notamment: « Tu nous manques Elliot. ». Un revolver Gomm Cogne, plusieurs téléphones portables et un ordinateur ont été saisis par la police lors d’une perquisition chez l’intéressé. D’aprè l’AFP, citant le parquet, le jeune homme a reconnu qu’il se sentait proche du mouvement des «célibataires involontaires» : les Incels.

Ce n’est pas la première fois qu’un jeune masculiniste se revendiquant «Incel» entend passer à l’acte – s’en prendre violemment aux femmes.Le 12 août 2021 déjà, les forces de police de Plymouth (UK) ont découvert qu’un jeune homme âgé de 22 ans, Jake Davidson, avait assassiné deux hommes, deux femmes dont sa mère et une fillette de 3 ans au fusil à pompe avant de se donner la mort. C’est la tuerie de masse la plus grave perpétrée en Angleterre depuis 2010. D’après The Daily Telegraph, l’auteur du quintuple meurtre était un ancien grutier, body-builder, obsédé par les armes à feu et les jeux vidéos violents, qui se qualifiait lui-même sur plusieurs posts du site Reddit d’“incel”… entendez «involuntary celibate» ou célibataire involontaire, un mouvement résolument misogyne né aux Etats Unis, animé par des jeunes hommes n’ayant aucun succès auprès des femmes et ne cessant de les dénigrer, dont il regardait régulièrement les sites.

Le quotidien londonien rapporte que dans sa dernière vidéo, mise en ligne le 28 juillet, Jake Davidson “se lance dans une diatribe de 11 minutes, assurant que sa vie est dans une impasse, qu’il n’arrive pas à attirer les femmes et qu’il peine à perdre du poids”. Il y confie amèrement : «Je suis socialement isolé et je ne connais aucune fille. J’ai baigné dans des environnements masculins presque toute ma vie. La dernière fille à qui j’ai parlé, c’était quand j’avais 18 ans, à moins que vous ne comptiez les caissières des supermarchés». Triste. Dramatique aussi. Pour lui comme pour les personnes qu’il a tuées – et cette enfant de 3 ans, assassinée parce que fille.

De son côté, le site du Daily Mail donne d’autres précisions sur le meurtrier. Davidson était un YouTuber actif se faisant appeler «Professeur Waffle» qui disait «détester sa mère» – il l’a tuée -, notre société et les femmes. Il a publié plusieurs vidéos en train de se muscler et, ces derniers jours, des longues tirades affirmant que «le système»est «truqué contre vous» et que l’humanité est «au bord de l’extinction» du fait que les hommes comme lui sont repoussés par les femmes. Dans sa dernière confession, filmée dans sa chambre, il déclame : «J’aime penser parfois, vous savez, je suis un Terminator ou quelque chose du genre. Et malgré, malgré… euh, vous savez qu’il a atteint une défaillance presque totale du système… il continue d’essayer d’accomplir sa mission ». C’est ce qui a fait dire à la police de Plymouth, d’après quotidien The Guardian, que son acte a été motivé par son absence totale de vie amoureuse, ses convictions incels et sa détestation des femmes – dont il recherche pourtant désespérément la compagnie. C’est le paradoxe tragique des incels…

Ce n’est pas la première fois qu’un «incel» revendiqué passe à l’acte. Le 23 avril 2018, en plein centre-ville de Toronto, Alek Minassian, 25 ans, fauchait avec une fourgonnette vingt-cinq personnes, en tuant dix, ciblant volontairement des femmes. Juste avant l’attaque, il avait posté sur Facebook un message annonçant : « La rébellion incel a commencé ». Avant lui, un autre incel violent, Elliot Rodger, 22 ans, abattait le 23 mai 2014 six personnes et en blessait sept autres à Isla Vista, en Californie. «Incel» ? Qu’arrivent-il à tous ces jeunes hommes pour qu’ils tuent des femmes, alors même qu’ils regrettent leur célibat ? Comment est apparu ce nouveau mouvement misogyne radical ? Quelle réalité recouvre-t-il ? (une première version de ce article a été publiée dans Le Monde IDÉES en mai 2018)

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… Un « incel », une expression récente dans le monde anglo-saxon, est un involuntary celibate, un « célibataire involontaire », un homme qui a peu de succès auprès des filles depuis l’adolescence et finit par les détester – un personnage comme dans les romans de Houellebecq, désemparé par la réussite sociale des femmes, leurs exigences nouvelles, leur indépendance financière, leur érotisme affirmé (dans leurs tenues, leurs attitudes…), et qui échoue à les séduire – je pense au Michel de Plateforme (2001) qui encense la sexualité avec les prostituées dociles de Bangkok, dénonçant ces «salopesOccidentales» qui « vous donnent l’impression de ne pas être à la hauteur», se lamentant que «les draguer est devenu une source de vexations et de problèmes », dénonçant les Européennes qui auraient perdu tout côté « animal et sensuel », et seraient au lit « tout bonnement incapables de quoi que ce soit » (p 200,J’ai Lu). L’incel en veut aussi beaucoup aux féministes, qui auraient perverti les rapports «naturels» et traditionnels entres les hommes et les femmes, éloignant ces dernières d’eux, les gars normaux, qui ne savent plus trop comment les séduire. L’incel est encore un angoissé qui a pris plusieurs rateaux, se persuade qu’il est laid, mal foutu, pas assez musclé, ou attrayant, et s’enferme dans cette spirale d’échec, affligé d’une «mâle peur» irrésolue – cette vieille peur masculine d’une femme déstabilisante, au charme troublant, au corps désirable, capable de donner la vie et lui apporter le plaisir et l’amour. En cela puissante, dérangeante. A y regarder de près, l’incel est la dernière figure, pathétique et radicalisée, d’un mouvement «masculiniste» important apparu aux Etats Unis au milieu des années 1980, désemparé face à un féminisme jugé par trop tourneboulant…

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Imaginez de robustes adultes Américains, torses bariolés d’enfantines peintures de guerre, frappant des tambours, dressant de phallus de bois en pleine nature comme faisaient les Grecs et les Romains. Cela se passe dans l’Amérique des années 1985-90, que ce soit dans les forêts de Californie, les états du Nord-est, ou les appartements new yorkais. Les sympathisants du “Mouvement des Hommes” se rassemblent pour discuter féminisme, virilité, identité masculine, une constellation de petit* groupes de pères divorcés, de célibataires des classes moyennes, d’intellectuels et artistes sensibilisés. Ils écoutent des lectures du mythologue Robert Bly, l’auteur de Jean de Fer qui décrit les»rituels de passage» de l’adolescent à l’homme adulte dans les civilisations premières. Ils redécouvrent les grands textes d’hommes affrontant seul ou à plusieurs la nature, les éléments, le danger, leurs héros sont Hemingway (reporter, engagé, boxeur…), Jack London (marin, chercheur d’or, reporter de guerre…), Henri David Thoreau (vie naturelle, anarchisme individualiste…), les aventuriers, les navigateurs, les grandes figures domptant leur peur, éprouvant leur résistance, forts sans les femmes, libres à leurs côtés…

Au cours d’immenses forums sur le Net, ou dans des journaux masculins comme “Esquire”, “Man”, “Wingspan”, ils réfléchissent, s’interrogent, discutent… La critique féministe salutaire, égalitaire, politique, excédée par la prédominance “patriarcale” sur les lois et la société, n’a-t’elle pas tournée extrémiste, prude, moraliste, confuse – misandre ? En quoi consiste exactement l’identité mâle, “yang”, phallique, androgène face à l’identité féminine ? Est-ce que penser en ces termes, masculin face à féminin, les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus, n’est pas terriblement réducteur – dépassé, essentialiste ? Comment concilier les parts féminines et viriles de chacun sans se renier – l’animus et l’anima dont parle le psychanalyste Karl Jung ?

C’est une véritable ébullition intellectuelle où ces hommes questionnent autant qu’ils défendent leur statut de mâle, jusqu’ici indiscuté, prédominant – pour ne pas dire écrasant. En même temps, pendant ces réunions, des hommes se plaignent de leurs fils accaparés par les épouses divorcées, élevés disent-ils en «gynécée», dans le mépris des “jeux de garçons” et de la virilité. D’autres pestent contre ces femmes qui les traitent de “phallocrates” et les accusent d’“harassem*nt sexuel” dés qu’ils expriment leurs désirs, les draguent, ces mêmes femmes qui, assurent-ils, se plaignent – double-bind éprouvant- de leur absence d’audace sexuelle, leur manque de séduction entreprenante. Beaucoup confient leur mal-être à voir les «valeurs masculines» dénigrées, les sports dits violents, le sexe pour le plaisir, l’amitié désintéressée, le courage physique, la lutte pour s’imposer, la drague, la bagarre, l’aventure, toutes activités déclarées “machistes”, “incorrectes” – même si bien des femmes modernes revendiquent aussi ces valeurs de courage et d’indépendance. Les plus virulents se plaignent que lors des divorces, la faute des échecs conjugaux soit presque toujours reportée sur eux, les pensions alimentaires à leur charge, la garde des enfants accordées aux femmes – même si, en France par exemple, seuls 20% de hommes demandent à s’en occuper…

FÉMINICIDE. UN PROJET DE TUERIE DE FEMMES PAR UN «INCEL» DÉJOUÉ À BORDEAUX. QU’EST-CE QU’UN «INCEL», UN «CÉLIBATAIRE INVOLONTAIRE». DE LA PEUR DES FEMMES ET LE REJET DU FÉMINISME AU MASCULINISME ET LA MISOGYNIE… JUSQU’AU HARCÈLEMENT ET AU CRIME. (3)

Il ne s’agit pas pour ces hommes – enfin, pas pour tous – de revenir à la situation d’avant la révolte féministe, de dénigrer les femmes, de retourner à un patriarcat arrogant et dominateur. Nombreux sont ceux qui reconnaissent sur les forums avoir été des “machos” stupides et brutaux, des dragueurs lourds, des emmerdeurs de rue ou des harceleurs, que découvrir les reproches des femmes et leur propre féminité les a enrichis, jusque dans leur érotisme, leur vie de couple, etc. Ceux-là disent aimer les femmes, comprendre leur révolte et leurs déception, veulent les retrouver, renouer avec elles, mais aussi réfléchir sur les angoisses et les déchirements proprement masculins, notamment associés au puissantes normes de genre viriles de nos sociétés : l’exigence de performance, la «course du rat» obligatoire du travail, l’espérance de vie plus courte, la perpétuelle recherche du succès et de l’argent (que les femmes exigent), la solitude après le divorce, la perte des enfants, l’accroissem*nt des suicides, l’alcoolisme, les drogues s’échapper. A Washington, à la fin des années 1980, un important collectif du Mouvement propose des solutions sociales concrètes : imposer des horaires flexibles, le travail à temps partiel, l’emploi à la maison de façon à retrouver une vie amoureuse, des loisirs et surtout, le contact avec leurs femmes et les enfants. Avec leurs fils, qu’ils ne savent plus comment élever.

Au cours de ces assemblées, un des fondateurs d’un groupe new yorkais influent du Mouvement, John Guarnaschelli,développe des idées dérangeantes sur l’affaiblissem*nt des valeurs masculines. Il décrit l’émergence moderne d’un “homme-enfant”, d’un “soft-boy”, d’un “fils à maman”, à la virilité contenue par une éducation maternelle dominante, habitué au repli sur soi, au manque d’initiative, à l’absence d’esprit combatif, à qui le père absent, parti, troublé par les valeurs féministes «anti-machos», n’a pas transmis grand chose. Il propose une analyse radicale : la démission des pères, les enfants éduqués par la télévision, la solitude des femmes divorcées, l’isolement de familles repliées sur elles mêmes empêche que des personnalités extérieures passionnantes, riches d’expérience, masculines, aident les adolescents à entrer dans l’âge adulte. A comprendre le bouleversem*nt hormonal, physique, psychique qui les agite à l’adolescence. A se découvrir des hommes désirants, énergiques, dans une société où les femmes ont changé de statut. Résultat, ils vivent dans “l’anomie” décrite par le sociologue Emile Durkheim, une absence de contrainte, d’apprentissage, de modèle, un défaut de mythe qui les égare, les laisse désemparés. Les jeunes garçons ne savent plus qui ils sont : Rambo le macho ou Peter Pan l’enfant rêveur ?

Au début du siècle, rappelle John Guarnaschelli, jusque avant-guerre, en Europe, le père ou le grand père formait le «fils de famille». Il lui apprenait à découvrir la force naissante de ses muscles, les agaceries du phallus, les élans de la sexualité,. Il s’affrontait avec lui par jeu, lui enseignait quelques passes pour se battre, évaluer sa résistance, canaliser ses forces, l’engageait à quitter la famille vers quatorze-quinze ans pour un grand voyage d’été, l’inscrivait à des épreuves sportives, lui offrait bientôt une chambre d’étudiant pour qu’il jette sa gourme, le présentait à des cercles d’hommes jeunes ambitieux (les boy’s clubs, les fraternités…), déjà lancés dans la vie, et auprès des femmes… Il l’initiait à la sexualité – au bordel parfois-, à découvrir le corps des femmes, à les faire jouir, à savoir leur plaire, leur parler, à se montrer gentleman, élégant, courtois. C’était la coutume à la fois virile et galante européenne. Avec ses travers misogynes. Ses initiations enrichissantes. Elle s’est diluée avec l’accélération des engagements amoureux (mariages courts, divorces fréquents…), la course-poursuite après l’emploi, le familles recomposées (parfois décomposées…), enfin sous les critiques d’un féminisme qui attendent d’eux plus qu’une galanterie intéressée – l’égalité, sortir de l’idée fixe sexuelle, des rapports de pouvoir asymétriques, etc. Trente ans plus tard, beaucoup d’hommes jeunes laissés à eux mêmes, sans nouveau modèles amoureux, paternels ou masculins, désemparés, se forment à la vie en se survirilisant, par ignorance ou par peur des femmes, pour sauver une identité menacée, par réaction à un vide existentiel, pour s’affirmer, dans les bandes, les gangs, virent hooligans, extrémistes, skinheads cogneurs, harasseurs de femmes – ou rejoignent les groupes incels : les célibataires involontaires en colère.

Depuis quelques années, cet «incel» sans femme, très présent sur Internet, se radicalise. Il fait de ses échecs amoureux un combat, de son ressentiment contre les filles un flambeau, des femmes des ennemies héréditaires – une attitude de plus en plus revendiquée par des groupes affiliés sur les réseaux sociaux, souvent accompagnée d’un déferlement de détestation misogyne. L’Urban Dictionary, le wikidictionnaire qui recense et analyse les nouveaux termes du langage vivant dans le monde anglophone, donne en 2018 de l’incel radical cette définition inquiétante : «Un Incel pense que son absence de vie sexuelle vient du fait qu’il est «laid » alors que cela est juste causé par son sexisme flagrant et son terrible comportement. Un incel a une personnalité horrible et traite les femmes comme des objets sexuels. Les incels n’ont aucune conscience d’eux-mêmes (…)». L’Urban Dictionary précise encore que les incels, tels qu’ils se présentent eux-mêmes dans leurs forums,«sont persuadés que les femmes doivent leur offrir du sexe, et les plus extrêmes d’entre eux aiment passer du temps sur les chats incel d’Internet à imaginer comment avoir des relations sexuelles forcées (…) en les violant ou en ayant des relations sexuelles avec des mortes, et d’autres choses horribles (…) impliquant souvent le génocide des hommes de couleur en couple mixte et des ‘Chads’ – entendez les hommes séduisants qui, au contraire d’eux, selon eux attirent génétiquement les femmes, considérées comme des créatures pulsionnelles incapables d’amour vrai – bref, des «salopes«

Ces dernières années, plus encore depuis octobre 2018 avec l’apparition du mouvement #Metoo, les incels se sont organisés en communautés masculinistes misogynes virulentes – ce qui n’a pas arrangé leur succès auprès des femmes. Au Canada comme aux Etats-Unis, ils se retrouvent sur des sites communautaires venimeux comme Incels.me, interdits aux femmes, sur des groupes de la messagerie Discord, ou sur les forums 4chan et 8chan – sans oublier les nombreux Tumblr p*rno (aujourd’hui interdits) montrant des scènes de sadisme et de viol commentés de façon haineuse, sur le thème «Ihatefeminist», «Destroythatbitch», etc. Vous me direz, voilà une vieille fantasmatique de domination et de détestation, sans doute à visée masturbatoire, mise en scène par des solitaires frustrés. Soit. Mais il y a plus inquiétant : on trouve sur ces sites un défense explicite des agressions et des violences sexuelles contre les femmes – un appel au passage à l’acte…

FÉMINICIDE. UN PROJET DE TUERIE DE FEMMES PAR UN «INCEL» DÉJOUÉ À BORDEAUX. QU’EST-CE QU’UN «INCEL», UN «CÉLIBATAIRE INVOLONTAIRE». DE LA PEUR DES FEMMES ET LE REJET DU FÉMINISME AU MASCULINISME ET LA MISOGYNIE… JUSQU’AU HARCÈLEMENT ET AU CRIME. (5)
« Nouveau saint »

C’est ainsi qu’en novembre 2017, le site communautaire Reddit interdisait pour «haine misogyne»et «appel à la violence» un groupe ­incel de 40 000 personnes. Sur ce forum, qui se présentait au départ comme un espace de ­ « soutien » pour les hommes en manque de relations amoureuses et sexuelles, les messages ont rapidement déraillé, traitant les femmes de créatures inférieures destinées à satisfaire les hommes et à enfanter, les accusant d’être favorisées par une société «truquée» au détriment des hommes, ou encore d’être des «salopes arrogantes» s’habillant sexy pour faire souffrir les incels, des «ordures féministes qui utilisent les hommes» et sont l’«incarnation du mal», allant jusqu’à cautionner et préconiser le viol pour se satisfaire – ou encore à défendre l’attaque à l’acide d’un mannequin à Londres (voir le post ci-dessus)

Le mouvement Incel est devenu plus problématique encore quant plusieurs de ses membres ont soutenu ouvertement le crime de masse d’Alek Minassian en plein centre-ville de Toronto, applaudi par les incels les plus violents, qui le célèbrent aujourd’hui comme un « nouveau saint ».«Répandez ce nom, parlez de son sacrifice pour notre cause, adorez-le car il a donné sa vie pour notre avenir»,proclamait un post sur Incel.me après les meurtres. Un autre se demandait si Minassian n’avait pas répondu à un appel lancé peu avant par un certain BlkPillPres qui proclamait : « Je veux voir des intoxications alimentaires de masse, peut-être une bombe ou deux, ou j’espère que quelqu’un finira par utiliser un camion pour renverser des femmes pendant un défilé scolaire ou quelque chose du genre. » Cette fois, nous sommes passés de l’appel virtuel délirant au meurtre sanglant – dans la symbolique des incels, «BlkPill» renvoie à la «black pill», «la pilule noire» qu’ils sont censés avoir pris à leur naissance, qui éloigne d’eux à jamais les femmes, les constituant comme une sorte de race maudite.

Les incels radicaux célèbrent un autre terroriste : le tueur Elliot Rodger, qui a abattu le 23 mai 2014 six personnes et en a blessé sept autres à Isla Vista, en Californie. La veille de son crime, il avait déposé plusieurs vidéos sur YouTube où, comme Jake Davidson, il se plaignait d’être puceau. Dans l’une d’elles, il menaçait de massacrer « toutes les salopes blondes, chouchoutées et snobs » qu’il verrait – qu’il désirait tant et insultait tant et n’aimerait jamais… Dans son texte posté sur Facebook le jour de son crime de masse, Alek Minassian lui a rendu hommage : « Que tous saluent le ­Suprême Gentleman ­Elliot Rodger ! » – sic, Gentleman, avec une majuscule…

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Idéologie misogyne

Jake Davidson, Elliot Rodger, Alek Minassian, tout comme Chris Harper-Mercer, le tueur de l’Umpqua Community College de ­Roseburg dans l’Oregon en 2015 (9 morts), qui admirait lui aussi Elliot Rodger, ont été présentés dans les médias comme des «psychopathes». La journaliste et essayiste féministe américaine Jessica Valenti n’est pas d’accord. Elle préfère parler d’un«terrorisme misogyne». Dans une tribune publiée le 26 avril 2018 dans le New York Times,elle écrit:«Malgré de nombreuses preuves qui établissent un lien entre ces tueurs de masse et les groupes misogynes radicaux, nous qualifions ces attaquants deloups solitaires – passant ainsi sous silence la façon dont la peur et la colère de ces hommes ont été délibérément cultivées et nourries sur Internet » – tout comme le sont les jeunes terroristes islamistes par les sites djihadistes et radicalisés.

Jessica Valenti est en butte aux attaques des communautés masculinistes d’Internet depuis 2004, année où elle a lancé le blog Feministing. En 2011, menacée de mort, elle a dû quitter sa maison avec sa petite fille sur les conseils de la police. Elle n’est pas, tant s’en faut, la seule féministe à avoir été harcelée sur le Net par des mouvements misogynes, ­masculinistes ou incels. Pour l’essayiste, on peut clairement parler de terrorisme misogyne dès lors que se développe une ­« idéologie » fermée sur un système de valeurs indiscutables, défendant une vision du monde d’exclusion de ceux qui pensent différemment, vantant la supériorité naturelle des hommes sur les femmes, ciblant une population désignée comme inférieure et menaçante, appelant au contrôle des époux sur leurs femmes (sur leur manière de s’habiller, se comporter, socialiser…), relayée par des groupes de parole haineux, du harcèlement en ligne, des passages à l’acte violents (insultes, bousculades…)… enfin des actions de terreur… des crimes…

Elle n’est pas la seule à décrire cette nouvelle idéologie misogyne développant « une propension à la violence réelle ». En France, l’anthropologue Mélanie Gourarier décritdans son essai Alpha mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes(Seuil, 2017), les activités d’un groupe masculiniste virulent, la «Communauté de la séduction». Pour ses adeptes, constate-t-elle «les valeurs de la masculinité ont été reniées et diluées par les féministes devenues hégémoniques«. Quant à la critique féministe du «macho» et du patriarcat, elle constitue pour eux un «dangereux rejet de la virilité» et de l’identité masculine profonde, reniant l’expression même du désir mâle supposé dominateur et violent par nature, et affaiblissant les hommes (une thèse couramment défendue par le polémiste Eric Zemmour qui va plus loin encore, assurant qu’il n’ y a que des «génies» masculins).

Au Canada, Margaux Bennardi, intervenante psychosociale au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, parle des thèses incels comme d’une «construction identitaire du rôle masculin (…) conçue comme une puissance », et d’une volonté «de demeurer en contrôle »dans tout le relationnel familial amoureux et sexuel – « un contrôle, d’après les incels, que les femmes ont volé aux hommes » (La Presse, 26/04/18). Elle comprend que le passage à l’acte puisse suivre une telle conception relevant d’une forme de racisme anti-femme : « Pour reprendre le contrôle, le vrai mâle utilise la violence pour montrer sa puissance. ». C‘est cette spirale idéologique où la certitude d’être l’humain «dominant», «alpha», entraîne des actions d’agression qui la confirment. Un cercle visqueux.

Aux Etats-Unis, le Southern Poverty Law Center, qui analyse et détecte les associations prônant la haine et l’agression, a ajouté en avril 2018 les groupes misogynes, masculinistes et incels à sa liste, constatant leurs propos récurrents accablant les femmes, leurs appels à la violence et leur banalisation du viol. et les assimilant à une forme de suprémacisme. Ces collectifs sont désormais surveillés par le FBI…

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Author: Sen. Ignacio Ratke

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Name: Sen. Ignacio Ratke

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